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Politique

Khartoum, deux semaines avant les élections (Soudan)

Le 9 avril se terminera au Soudan la première campagne électorale en près d’un quart de siècle, donnant lieu du 11 au 13 à des scrutins présidentiel, législatif et régional qui verront s’affronter 12 candidats et 69 partis enregistrés. Une première dans l’histoire de nombreux soudanais, qui connaissent depuis 1989 le même parti politique, le Parti du Congrès National (NCP) du président soudanais actuel, Omar Hassan Al-Bashir. Depuis notre arrivée dans le pays le 17 mars, nous ne pouvons que constater la présence d’affiches électorales partout sur les murs et dans les rues, principalement d’ailleurs pour le parti au pouvoir. Point sur les premières élections démocratiques dans un pays au régime autoritaire et que l’on connaît peu.

Le premier jour de notre arrivée au Soudan, nous commençons par la visite de l’Université de Khartoum qui, selon les dires, est Le lieu de rencontre et de discussion, si ce n’est du pays, au moins de la capitale. Une chance pour nous, les soudanais sont très bavards, au contraire de leur gouvernement. Rien que de rentrer dans le pays, puis d’y régulariser notre situation n’a pas été une mince affaire. En Ethiopie, il nous a fallu obtenir d’abord le visa égyptien, changer nos dollars en une édition plus récente et payer la modique somme de 100 $ par personne, rien que pour obtenir un visa de transit de 15 jours. A Gallabat, nous sommes passés successivement par le poste frontière, le poste de douane et le poste de sécurité avant de pouvoir prendre un bus pour Khartoum. Entre la frontière éthiopienne et Khartoum, nous nous sommes fait contrôler 13 fois passeports et bagages. A l’arrivée à Khartoum, il nous a fallu nous enregistrer, opération impossible sans un « sponsor » soudanais et qui nous a coûté à nouveau 35€ par personne, puis obtenir un permis de voyager pour voyager et un permis photo pour pouvoir prendre des photos. 5 jours plus tard, délestés de plusieurs centaines d’euros et d’un nombre incalculable de photos d’identité et de photocopies de passeport, nous voilà enfin au Soudan, libres et en règle.

En cherchant sur internet, j’ai trouvé peu d’informations en français sur les élections. Peu importe, la presse internationale n’est pas en reste. Le site www.sudantribune.com entre autres est une source d’informations inépuisable sur le sujet. En recoupant les informations recueillies auprès de nos rencontres soudanaises et dans la presse, j’ai pu établir un petit résumé de la situation.

Historique de 25 ans de politique soudanaise

Avril 1986 : Premières élections libres depuis 1968 après 15 ans de coups d’état successifs. Le parti de l’Ummah gagne 99 des 301 sièges au parlement, le DUP 63 et le NIF 51. 37 sièges pour le sud restent vacants pour cause de guerre civile et boycott des élections par le SPLF. Le Parti de l’Ummah, le DUP et 4 partis du sud forment une coalition qui tombe rapidement à l’eau.
1989 : Omar al-Bashir renverse le gouvernement élu du Premier ministre Sadek al-Mahdi et bannit les partis d’opposition
1998 : Adoption d’une nouvelle constitution qui autorise à nouveau les partis politiques autres que le NIF pour la première fois depuis 1989
Décembre 2000: Révision de la Constitution. Al-Bashir est réélu président avec 86.5% des voix, suivi par Ja’afar Muhammed Numayri (renversé en 1989) avec 9.6% des voix.
2005 : signature de l’accord de Paix avec le Sud Soudan. Le National Congress Party (NCP) est forcé à un arrangement avec le Sudanese People’s Liberation Movement (SPLM). Beaucoup considèrent l’accord comme purement symbolique et non effectif.
11 au 13 avril 2010 : élections.
2011 : Referendum sur l’indépendance du Sud Soudan



Des élections (trop) longtemps attendues

En 2005, l’accord de paix mettant fin à des décennies de guerre au sud Soudan établit également l’emploi du temps électoral à venir, entre autres :
o Que le SPLM/A partagera le pouvoir avec le NPC jusqu’aux élections de 2009 qui décideront de l’avenir du Soudan,
o Qu’un referendum sur la partition du Sud-Soudan aurait lieu au bout d’une période de transition de 6 ans (soit en 2011) ,
o Que si le Sud-Soudan décide de ne pas se séparer, les forces armées du nord et du sud fusionneront en une seule,
o Que les revenus des puits de pétrole seront également partagés entre le nord et le sud,
o Que la loi islamique, la sharia, restera effective dans le nord, tandis que son application dans le sud sera décidée par l’assemblée élue.

Tandis que j’écris ces quelques lignes depuis l’université, en arrière-fond retentissent les discours politiques des différents partis, dont les porte-paroles sont entourés par une foule d’étudiants.
Car organiser des élections dans un pays qui n’en a pas connu depuis des décennies n’est pas si simple. C’est tout l’appareil électoral qu’il faut remettre en place. Le processus a commencé par le vote de la loi électorale, passée le 8 juillet 2008. La deuxième étape fut de faire un recensement de la population soudanaise, afin de pouvoir ultérieurement établir des statistiques sur le nombre de votants et appeler, tout simplement, la population à voter. C’est là que les choses se corsent. En effet, l’accord de 2005 prévoyait des élections en avril 2009. Cette date fut repoussée à deux reprises :
o D’abord d’avril 2009 à février 2010 à cause de la préparation du vote,
o Puis de février à avril 2010 à cause du recensement.

Le recensement, prévu originellement en juillet 2007, avait été reporté une première fois sur demande du SPLM qui insistait pour attendre le retour des réfugiés chez eux. Puis le sondage, lors de la publication officielle de ses résultats en mai 2009, accorda au Sud Soudan une population de 8,2 millions (déjà mieux que les premiers 3,8 millions annoncés) alors qu’il compte 11 à 13 millions de personnes au moins selon les estimations. A nouveau, le SPLM se plaça en opposition et les résultats tardèrent à arriver.

Aujourd’hui, deux semaines avant les élections, rien ne semble devoir retarder à nouveau les bulletins. Quoique le 21 mars, les leaders des principaux partis d’opposition au Soudan aient remis un mémo à la présidence requérant un troisième recul jusqu’à novembre afin de permettre des réformes majeures dans un certain nombre de lois, notamment relatives à la sécurité nationale et aux médias. A priori, cette requête ne semble pas être prise en compte par le NPC.

En se baladant dans les rues de Khartoum, on rencontre ça et là des imprimeurs affairés, connaissant depuis quelques semaines l’apogée de leur carrière. S’il y en a que le retard des élections enchante, ce sont bien eux. Malgré l’approche de l’instant fatidique, de nombreux partis n’ont pas encore imprimé la majeure partie de leur matériel de campagne. Nul ne connaît le budget exact des différents partis, mais il semble qu’aucun ne compte pour plus de 10% du budget du parti présidentiel. Avec des financements plus que limités, les réunions de campagne le sont aussi et peu nombreux sont les villageois soudanais qui peuvent faire un choix en connaissance de cause. Hormis les étudiants, le public se désintéresse grandement de ces élections et on les comprend. Depuis 25 ans, on ne leur a jamais demandé de s’intéresser à la politique, qui s’est toujours faite sans eux.




Et des enjeux de taille

Omar al-Bashir, n’est-ce pas celui que la Cour Pénale Internationale avait accusé en 2009 de crimes de guerre et crimes contre l’humanité au Darfour ? Si, c’est bien lui, et on doit bien là lui reconnaître une prouesse de charisme et d’éloquence. Le Président Soudanais a réussi à tourner le mandat de la CPI (du 4 mars 2009) en sa faveur pour lancer une vaste campagne de publicité autour de sa personne et casser du sucre sur le dos de l’Occident.

Personne ne croyait qu’il organiserait véritablement des élections. Et pourtant, nous y sommes. A la clé, des évènements politiques qui s’avèrent d’être tumultueux lors du référendum de 2011 et un Darfour encore sous le choc de ses 200 000 morts et 2 millions de déplacés.



Les Principaux partis soudanais :

o National Congress Party (NCP) (Al Muttamar al Watani). Parti actuellement au pouvoir avec le president Omar al-Bashir qui se représente aux élections de 2010. Le NCP fut créé en 1998 comme la face politique du National Islamic Front (NIF), organisation politique fondamentaliste dérivée des frères musulmans et créée en 1986.
o Sudanese People’s Liberation Movement (SPLM) (Al-Harakat Al-Shaabia Le Tahreer Al-Sudan). Le SPLM fur créé en 1983 par John Garang, envoyé pour arrêter la mutinerie Bor dans le sud Soudan mais s’était lui-même rebellé. Le SPLM est le forum politique pour la lutte armée des rebelles du sud, rassemblant une quarantaine de bataillons portant les doux noms de Tigre, Crocodile, Feu, Nil, Kalashnikov, Abeille, Aigle ou Hippopotame. Après la mort de John Garang en 2005, Slava Kiir a pris la tête du parti, partageant le pouvoir avec le NCP depuis le traité de paix. Son candidat pour 2010 est Yasser Arman, un musulman laïque du Nord-Soudan.
o Umma Party (Hizb al-Umma). Créé en 1945, il tire ses origines du Mahdi et du mouvement islamique de l’Ansar dans les années 1880. Le parti est d’ailleurs toujours dirigé par Sadiq-al-mahdi, le petit petit fils du Mahdi. Le parti de l’Umma a été au pouvoir de 1986 et 1989, date où il fut renversé par Omar al-Bashir. Sadiq-al-mahdi fut emprisonné de 1989 à 1991.
o Democratic Unionist Party (DUP). Le DUP est originaire de la secte religieuse Khatmiyyah, opposée aux Mahdi et donc traditionnellement à l’Umma. Cependant, en 1986, le DUP fut forcé à une coalition avec son rival. Le DUP a longtemps été très factionné intérieurement, ce que son leader et guide spirituel depuis 1968, Muhammad Uthman al Mirghani, a essayé de cacher par des slogans clairs. Muhammad al Mirghani fut la figure musulmane la plus importante à défendre des concessions sur l’application de la sharia, la loi islamique. Il fuit en Egypte après le coup d’état de 1989.
o Popular Congress Party (PCP). Le parti est dirigé par Hassan Al-Turabi, qui avait été emprisonné en 1989 lors du coup d’état. Cependant, il était à l’époque communément admis que son parti, le NIF, était derrière al-Bashir. Hassan Al-Turabi avait ensuite été évincé par son allié en février 2001.
o National Islamic Front (NIF) / Les frères Musulmans. Les frères Musulmans sont actifs au Soudan depuis 1949. Il tient son origine de groupes d’étudiants musulmans en Egypte dans les années 1940. Son principal objectif est d’institutionnaliser la loi islamique à travers le pays. La parti a ainsi rapidement gagné la réputation de promouvoir l’extrémisme. Turabi fut le secrétaire général du NIF à partir de 1964.
o Sudanese Communist Party (SCP). Créé en 1944, il est surtout basé dans les universités et les syndicats. Le parti a tenté de prendre le pouvoir par un coup d’état en 1971 mais a échoué, provoquant son disloquement (les leaders furent exécutés par le gouvernement de Jaafar Nimeiri). Le parti s’est reformé depuis et communique essentiellement grâce à son journal underground, Al-Midan.
o Sudanese Baa’th Party. C’est un petit parti qui s’aligne avec le Baa’th party d’Irak. Sa philosophie repose sur la création d’une seule nation arabe. Il souhaite donc unifier le Soudan avec l’Egypte ou la Libye. La parti Baa’th fut successivement toléré et persécuté par les gouvernements de Nimeiri et Bashir.



Les élections, et après ?

Même si le pays n’a pas de sondages d’opinion et n’a pas organisé de véritables élections depuis 1986, rendant les résultats de 2010 difficiles à prévoir, peu sont les soudanais qui ne déclarent pas Omar al-Bashir réélu d’avance. Le président a en effet une longueur d’avance par rapport aux 11 autres candidats pour de multiples raisons :
o Le NCP a tourné à son avantage le processus d’enregistrement des électeurs sur les listes électorales, en novembre et décembre, et y a inscrit le maximum de sympathisants,
o Les camps de déplacés au Darfour (ouest), jugés hostiles au gouvernement, ont en grande partie boycotté le processus d’inscription et ne pourront pas voter,
o Al-Bashir peut s’appuyer sur l’appareil d’Etat (dont les services de renseignement et la police) et l’argent du gouvernement pour mener une campagne électorale laissant peu de place à ses opposants,
o Les soudanais ne connaissant aucun autre parti ou presque, beaucoup voteront pour Bashir, puisqu’ils ne connaissent que lui.

Globalement, les partis du Nord, dont le NCP, prônent l’unité : le Nord Soudan a beaucoup d’intérêts dans le pétrole, ressource localisée essentiellement dans le sud. Historiquement, nord et sud ont toujours ou presque fait l’objet de politiques divergentes, si ce n’est opposées : arabes et pro-islamistes au nord, chrétiennes et traditionnelles dans le sud. Même si la divergence Nord-Sud n’est pas le sujet de cette année, elle ne quitte pas l’esprit des soudanais et pèse de son glaive au dessus du scrutin. La véritable issue aura lieu avec le referendum en 2011. Dans la presse internationale, beaucoup se posent la question : « Les élection soudanaises de 2010, des élections justes et libres ? ». A mon goût, pas vraiment, mais ce qui est sûr, c’est que le Soudan vient de faire un pas de géant vers la démocratie.

Au travers nos discussions avec les étudiants, nous sentons une importante prise de conscience vis-à-vis de l’enjeu du scrutin. Tous souhaitent poser la première pierre du Soudan de demain. Nous étions étonnés de l’engouement politique dans lequel se trouve la nouvelle génération soudanaise. Beaucoup prônent l’égalité entre le nord et le sud Soudan et espère une fin pacifique à la crise du Darfour. Puis au fil des jours nous nous sommes rendu compte que nous ne pouvions en parler trop fort. Les étudiants en langues étrangères sont plus disposés à échanger, « il ne faut pas s’inquiéter, les policiers ne parlent pas français » La pression est présente mais elle n’est pas encore palpable.

Depuis ce matin, nous prenons la dimension de l’événement et la tension latente qui en résulte. A notre arrivée à l’université nous sommes pris de panique par un mouvement de foule. Tout semblait calme mais des cris et des courses désorientées sont venus rompre la sérénité des lieux. Nous reculons, observons, courrons, patientons et finalement croisons des étudiants armés de bâtons et de couteaux. Nous nous refugions dans une salle et observons la suite des événements. Personne ne sait vraiment ce qu’il se passe. Les esprits se calment avant qu’une nouvelle vague d’incertitude ne gagne les lieux. Il ne fait pas bon trainer ici. Nous quittons l’enceinte d’un pas décidé et prenons de nouveau la température à l‘extérieur des bâtiments. Les rumeurs vont bon train. Il y aurait un mort et un blessé. Ces informations ne sont pas confirmées mais tous affirment que l’origine provient de débats houleux entre pro et anti Bashir. « Ils commencent à discuter gentiment et puis ils finissent toujours par se crier dessus. Aujourd’hui a priori ils ont été plus loin. »

Un grand pas vers la démocratie, c’est sur, mais les droits du citoyen africain n’ont aucune commune mesure avec ce que nous connaissons dans nos pays.





Sources :
o Lepoint, « Elections au Soudan: le président Béchir devient le “candidat Béchir” », 13/02/2010
o SudanTribune, « Sudan opposition parties demand postponement of elections “, http://www.sudantribune.com/spip.php?article34495, Monday 22 March 2010
o Wikipedia, « Sudanese general election, 2010 », http://en.wikipedia.org/wiki/Sudanese_general_election,_2010
o BBC, “Sudan elections put back to 2010”, http://news.bbc.co.uk/2/hi/7980032.stm, Thursday, 2 April 2009
o Wikipedia, « List of political parties in Sudan”, http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_political_parties_in_Sudan
o Sudan.net, “Major Sudanese Political Parties”, http://www.sudan.net/government/parties.html
o “Sudan political Parties”, http://www.nationsencyclopedia.com/Africa/Sudan-POLITICAL-PARTIES.html
o SudanTribune, « On Problematic of the upcoming election in Sudan”, http://www.sudantribune.com/spip.php?article32627, Thursday 1 October 2009
o SudanTribune, « Sudan Elections and Southern Self-Determination: At Growing Risk”, http://www.sudantribune.com/spip.php?article31662, Monday 29 June 2009


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