Entre Deux Eaux

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Expertise en management stratégique de projets complexes dans le domaine de l’eau

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Organisation

Les organismes de bassin

Nul ne sait réellement de quel côté de l’Atlantique la notion de « management par bassin » est apparue en premier. Tandis qu’en Europe des commissions étaient établies pour réglementer les usages de la navigation, aux Etats-Unis, John Wesley Powell, ainsi que le Président Theodore Roosevelt, recommandaient la considération des bassins en tant qu’unité administrative. Toujours est-il qu’à la fin du XIXème siècle, nombre de ces organismes existaient déjà.

Il leur fut rapidement accordé une utilité tournée sur la construction et la gestion de grandes infrastructures. Ainsi en 1957, le géographe Gilbert White publiait un article mémorable dans lequel il citait, selon lui, 3 idées centrales à la gestion par bassin : les barrages et les réservoirs à buts multiples, le programme par bassin (incluant la navigation, le contrôle des inondations, l’hydroélectricité, la distribution, en d’autres termes l’IWRM actuel) et un développement régional global (incluant l’idée que développer les ressources en eau participait indirectement au développement économique et social de la région). Et ce sont justement ces idées selon lesquelles « l’eau ne concerne pas que l’eau » et que la construction d’infrastructures a des impacts plus larges que sur les simples systèmes hydrographiques, qui ont amené progressivement les organismes de bassin à intégrer, vers la fin du XXème siècle, des concepts comme la biodiversité, l’intégration d’un plus grand nombre d’acteurs et une attention croissante à l’environnement. (Ne nous voilons pas la face, ce changement de mentalités vient aussi en partie du fait que les donneurs internationaux devinrent réticents à financer des projets uniquement d’infrastructures).

Mandat

Particulièrement au niveau transfrontalier, la gestion de bassin commence souvent par la création d’une commission destinée à gérer un problème spécifique. Son mandat est ensuite élargi à une plus grande variété d’activités. Ça a été le cas par exemple de la Commission de bassin Congo-Oubangui-Sangha (CICOS) créée en 1999 en Afrique centrale. Ces organismes de bassin n’ont pas de forme, de cadre ou de fonction prédéfinis. Ils peuvent être connus sous le nom d’autorités, de comités, de conseils, d’initiatives et servir de corps consultatif ou de preneur de décision. Comme il n’existe pas de cadre international à la création de tels organismes, leur création, leur gestion et leur développement sont entièrement laissés à l’appréciation de leurs gestionnaires.

Par essence, leur mandat est de servir d’ombrelle au management du bassin et d’en donner une image globale, tout en parlant d’une seule et unique voix pour tous les pays riverains. De façon plus spécifique, leurs activités dépendent majoritairement de la raison pour laquelle ces organismes ont été créés ainsi que de la nature des problèmes rencontrés par le bassin. Lorsque ce dernier est transfrontalier, le catalyseur de la coopération peut être aussi varié que la résolution de conflit, la libre navigation, la gestion des inondations ou la création d’infrastructures. Une fois que les Etats riverains ont donné l’impulsion de la coopération, la moitié du travail est déjà fait, comme nous l’a souligné Ainun NISHAT, expert des ressources en eau au Bangladesh. Travailler sur d’autres secteurs ou intégrer d’autres pays au sein de l’organisme sont autant de manières de pousser un conflit éventuel autour de la ressource dans ses retranchements.

Mais la recette du succès n’est pas dans les livres et elle dépend d’un grand nombre de facteurs propres au bassin : caractéristiques géographiques, sociales, économiques, culturelles, historiques, démographiques, politiques, les excuses sont nombreuses qui peuvent fragiliser le noyau créé. Cependant, lorsque l’on s’en remet à l’histoire, on constate rapidement qu’en période de conflit, lorsque nombre de coopérations régionales s’arrêtent net voire disparaissent, les organismes de bassin survivent, s’adaptent et dépassent les périodes de tumultes politiques avec succès. Ça a été le cas par exemple de la Commission du Mékong, créée en 1995 et qui a surmonté, entre autres, les difficultés politiques au Cambodge en 1997, la crise financière asiatique la même année, un coup d’Etat en Thaïlande, un tsunami et combien d’autres acharnements.

Cela prouve à quel point il est nécessaire pour ces organismes de savoir s’adapter. C’est pourquoi il en existe des dizaines de types différents qui répondent aux demandes et aux besoins locaux. Ce peuvent être des corps gouvernementaux formels régis par la loi, un arrangement officiel temporaire mais avec des pouvoirs légaux limités ou encore un corps non-gouvernemental ou informel avec aucun pouvoir législatif. Quoiqu’il en soit, ces organismes travaillent souvent avec des agences gouvernementales et des corps administratifs, nécessaires afin de refléter la bonne volonté des Etats de coopérer, et peuvent s’occuper de tâches variées.

Tâches

Suivant le Manuel de Gestion Intégrée des Ressources en Eau par Bassin du RIOB, « Les organismes de bassin accomplissent des tâches multiples mais interviennent principalement dans les trois domaines suivants :

Suivi, enquête, coordination et réglementation ;

Planification et financement ; et

Aménagement et gestion.

Suivi, enquête, coordination et réglementation

- Collecte des données : recueillir, gérer et diffuser des données relatives à la disponibilité en eau, aux besoins (y compris pour l’environnement) et à la qualité de l’eau en vue de soutenir différentes fonctions du bassin.

- Prévention, supervision et application de la réglementation : superviser et contrôler la pollution de l’eau, les niveaux de salinité et les prélèvements d’eaux souterraines de façon à veiller à ce qu’ils ne dépassent pas les niveaux autorisés, et appliquer les lois et réglementations en vigueur afin de prévenir la dégradation/surexploitation et de restaurer les écosystèmes.

- Coordination : harmoniser les politiques et mesures mises en place au niveau du bassin par les acteurs étatiques et non étatiques concernant la gestion des sols et de l’eau.

- Résolution des conflits : mettre en place des mécanismes de négociation et de règlement des litiges.

Planification et financement

- Répartition de l’eau: définir les mécanismes et critères d’attribution de l’eau aux secteurs d’usagers, y compris l’environnement.

- Planification : élaborer les plans d’aménagement et de gestion des ressources en eau par bassin à moyen et long terme.

- Mobilisation de ressources financières : par exemple à travers le prélèvement de redevances auprès des usagers de l’eau.

Aménagement et gestion

- Construction d’installations : concevoir et construire les infrastructures hydrauliques.

- Maintenance des installations : entretenir ces infrastructures.

- Gestion : veiller au bon fonctionnement des barrages, des infrastructures de navigation et de distribution d’eau et des installations de traitement des eaux usées ; et à ce que l’eau attribuée atteigne bien son lieu d’utilisation et que les eaux de surface et les eaux souterraines soient gérées conjointement.

- Prévention des catastrophes liées à l’eau : mettre en oeuvre des actions de prévention contre les risques naturels et accidentels et aménager des ouvrages de protection, élaborer des plans anti-inondations/sécheresse et des stratégies d’adaptation.

- Protection et préservation des écosystèmes : définir les priorités et mettre en oeuvre des actions visant à protéger les écosystèmes, y compris des campagnes de sensibilisation. »

Source : Manuel de Gestion Intégrée des Ressources en Eau par Bassin Box 4.B

Principes

Depuis notre départ, nous avons rencontré deux commissions de bassin dont nous avons étudié les projets : La Commission Internationale de Protection du Danube (ICPDR) avec le « Projet Régional du Danube » de réduction de la pollution et la commission du Mékong (MRC) et son « Programme pêche ». Au vu de ces expériences, de nos lectures, et des autres bassins où des systèmes de coopération n’existent pas encore mais où nous avons rencontré des experts et politiques dédiés corps et âmes à leur mise en place, nous avons pu dégager un certain nombre de principes généraux liés aux organismes de bassin :

- Il est important que TOUS les riverains, dans la mesure du possible, y soient représentés.

- Les limites du mandat de l’organisme doivent être clairement définies, et les règles de prise de décision et de participation explicites à tous les participants. Où commence et où s’arrête son rôle ? (Rappelons qu’à l’heure actuelle, la seule commission de bassin ayant un pouvoir supranational est celle sur le Saint Laurent entre les Etats-Unis et le Canada).

- Un plan de gestion du bassin (River basin management plan) permet de définir des objectifs communs, la façon de les atteindre et dans quels délais.

- L’organisme de basin a également pour rôle de générer une connaissance du bassin et de la diffuser : quelles sont ses caractéristiques, l’impact des activités humaines sur les eaux, les conséquences des législations existantes, les usages de l’eau ?

- Il est impératif que les informations soient transparentes. Sur le Cauvery par exemple, dans le sud de l’Inde, toutes les données existantes sur le fleuve sont considérées comme confidentielles par le gouvernement, si bien que toute coopération qui sorte du cadre institutionnel est caduque car basée sur des estimations.

- En découle la nécessité absolue de faire participer TOUS les acteurs concernés, à la fois par l’information, la consultation, la participation et la formation. Ces acteurs sont les communautés, les secteurs économiques, les organisations non-gouvernementales, les entreprises privées ou encore les chercheurs. Plus les informations sont transparentes et plus les intérêts des différents acteurs ont été intégrés tôt dans le processus, et plus les projets mis en place ont de chances de réussir, en réduisant dès le départ les barrières potentiellement induites par le facteur humain.

- L’attention de l’organisme doit être tournée non-seulement sur le management des ressources, mais également sur la totalité du système hydrographique : la biodiversité, les conséquences sociales, sanitaires, le développement économique, c’est-à-dire proposer une gestion intégrée de la ressource (« Integrated Water Resources Management » ou IWRM). En Turquie par exemple, le projet de développement de l’Anatolie orientale (Projet GAP) que nous avons étudié a en premier lieu mis en place des canaux d’irrigation ouverts, apportant des moustiques et avec eux leurs lots de maladies. Ce genre de facteur peut et doit être pris en compte en amont de la mise en place du projet.

- La structure de l’organisme doit être souple et adaptable : elle doit résister aux changements de directions politiques, aux réformes administratives, aux relations entre les pays riverains. Cela peut impliquer des changements structurels dans la gouvernance de l’organisation, dans son rôle ou son mandat. Elle doit également s’adapter aux nouvelles problématiques, comme le changement climatique ou la protection des écosystèmes.

- Enfin, au niveau financier, la structure de basin nécessite un financement adéquat, fiable et durable grâce à 3 sources principales de revenu : les taxes, les tarifs (et autres charges) et les transferts (pour plus d’information, lire le Manuel de Gestion Intégrée des Ressources en Eau par Bassin)

Les principaux organismes de bassin dans le monde

En bleu : organismes que nous rencontrons sur notre passage

EUROPE

Les plus anciennes commissions se trouvent en Europe, autour de la navigation :

- La Commission Centrale pour la navigation sur le Rhin (1831): elle a une fonction consultative et technique en matière de navigation, et recommande aux Etats membres des dispositions à adopter dans leurs systèmes juridiques,

- La Commission Européenne sur le Danube (établie en 1856 et réglementée en 1948) : elle établit des règles uniformes de navigation et promeut les projets d’irrigation.

Plus récemment, d’autres organismes ont été créés, portant principalement sur la qualité de l’eau :

- La Commission pour la protection du Rhin contre la pollution (1963, 1976)

- La Commission Internationale pour la protection du Danube, ICPDR (1991) : elle règlemente tous les aspects que la Commission sur le Danube ne traite pas. www.icpdr.org

- International Sava River Basin Commission (2001): www.savacommission.org

Au niveau domestique, il en existe de nombreux autres : Elbe, Maas, Rhin, Meuse, Scheldt, Moselle, Sarre, lac de Genève,…

AMERIQUE DU NORD

- Commission mixte internationale entre les Etats-Unis et le Canada (International Joint Commission IJC) (1909) : Donne des autorisations pour des utilisations qui peuvent altérer le débit du cours d’eau, www.ijc.org

- Commission internationale de la frontière et de l’eau entre les Etats-Unis et le Mexique (1889, 1944) : en charge de la gestion de l’eau de surface et du partage des eaux entre Etats-Unis et Mexique.

ETATS-UNIS (DOMESTIQUE)

- Columbia River Basin

- Tennessee Valley Authority (TVA), 1933

- Delaware River Basin Commission’s

- Susquehanna River Basin Commission www.srbc.net

- Rivanna River Basin Commission www.rivannariverbasin.org

AMERIQUE DU SUD

- Commission Administrative pour le fleuve Uruguay (CARU) entre Argentine et Uruguay,

- Commission Technique de Salto Grande entre Argentine et Uruguay dans le but de la construction du barrage à but multiple de Salto Grande.

AFRIQUE

- Commission mixte permanente entre l’Egypte et le Soudan (1959) : planification, exécution et supervision des projets et du contrôle de la distribution de l’eau,

- Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) entre Guinée, Mali, Sénégal et Mauritanie, www.omvs.org

- Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie (OMVG),

- Commission de bassin du lac Tchad,

- Autorité du bassin du Niger (ABN),

- Initiative du bassin du Nil (NBI), www.nilebasin.org/

ASIE

- Commission de l’Indus (1960) entre l’Inde et le Pakistan, élaborée avec l’aide de la Banque Mondiale : elle a un rôle d’inspection et de recherche, ainsi que d’établissement d’accords de coopération en vue de construire des ouvrages,

- La Commission du Mékong (MRC) : créée en 1995 sur la base du Comité du Mékong qui datait de 1957 : elle s’occupe de la promotion, de la coordination, de la supervision, du contrôle du planning et des recherches concernant les projets de développement des ressources en eau du bassin, www.mrcmekong.org

- La Commission des Ressources en Eau du Changjiang (Yangtze) (CWRC) : elle administer le basin du Yangtze et d’autres bassins du sud-ouest de la Chine.

AUSTRALIE:

- Murray–Darling Basin Commission (MDBC) (1986) : remplacée par l’Autorité du basin Murray–Darling en 2008, www.environment.gov.au/water/mdba/index.html

Difficultés & critiques

Si la création d’organismes de bassin connaît une croissance exponentielle depuis la moitié du XXème siècle, leur mise en œuvre et leur gestion n’en sont pas moins faciles. A l’heure actuelle, il n’existe pas de cadre standard de coopération autour des ressources en eau et il incombe donc aux Etats eux-mêmes de donner l’impulsion de travailler ensemble et de définir la structure de cette coopération naissante et souvent fragile. Cependant, les exemples se multiplient, et avec eux les publications et les recherches dans ce domaine. A travers des organismes comme le Réseau international des organismes de bassin ou le « Global Water Partnership », on peut espérer, si ce n’est une institutionnalisation, au moins une standardisation des processus de création et de gestion de telles entités.

Il est nécessaire pour les organismes existants de se détacher du carcan d’assistanat dans lequel leur dépendance aux supports financiers internationaux a tendance à les placer et de tenir tête aux volontés souvent mégalomaniaques des Etats de confondre le développement des ressources avec celui des infrastructures. Enfin, un tout autre chapitre commence également à être entamé : celui des aquifères (ou nappes phréatiques). Leur connaissance actuelle est très limitée, tout autant que l’attention internationale qui leur est portée. Récemment, l’UNESCO a édité une carte mondiale des grands aquifères transfrontaliers (www.igrac.net/publications/320). Or, les Etats commencent à ouvrir les yeux sur la mine d’or que représentent ces ressources souterraines, les fermant en parallèle sur les pompages excessifs et illégaux par leurs populations. Dépêchons-nous ! N’attendons pas qu’ils deviennent eux-aussi porteurs de conflit ! Ce sera le sujet de notre prochain bassin, puisque nous nous rendrons début novembre en Amérique du Sud, sur l’aquifère de Guarani situé sous l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Paraguay.

Pour en savoir plus

- Site du Réseau International des Organismes de bassin (RIOB) www.riob.org

Le site est vieux et mal organisé mais regorge d’une grande quantité d’informations, notamment le passionnant Manuel de Gestion Intégrée des Ressources en Eau par Bassin.

Téléchargez le document (Français)

Download the document (English)

- Global Water Partnership: www.gwpforum.org

- International Network of Basin Organizations: www.inbonews.org


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