Entre Deux Eaux

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Infrastructure

Pour ou contre les barrages ?

Je ne pouvais, ni ne voulais trouver de titre plus détaillé sur cet immense débat qui anime autant les managers de l’eau que les politiques, les environnementalistes ou les populations. Suite aux commentaires laissés après notre newsletter N°3 , nous nous devions de faire un point sur ces Léviathan de l’architecture

Le fonctionnement des barrages hydroélectriques

Tout commence au niveau de la retenue. Une certaine quantité d’eau est stockée par le barrage. Au contraire de ce que l’on croît, ce n’est pas l’étendue du lac qui augmente la pression mais la hauteur d’eau. Comme les plongeurs le savent, la pression de l’eau augmente de 1 bar tous les 10m. Par conséquent, pour un barrage d’une hauteur de 180 mètres, la pression à la base du barrage sera de 18 bars.

La suite dépend de la famille à laquelle appartient notre barrage. Certains barrages utilisent la force et non le débit de l’eau : ce sont les barrages de haute chute, construits en montagne. D’autres, au contraire, ont une faible hauteur de chute mais un débit important, ce sont les barrages de rivière.

Au niveau technique, l’eau retenue par le barrage passe dans des canalisations puis vient heurter les turbines. En fonction des ordres donnés par le centre de commande, de la quantité d’eau disponible et des besoins en électricité, aucune, une partie ou toutes les turbines peuvent être mises en action. Il existe deux principaux types de turbines, à action (type Pelton ou Crossflow) ou à réaction (Francis ou Kaplan et Hélice). Le rôle principal de la turbine est de transformer l’énergie cinétique issue de l’écoulement en énergie mécanique.

L’arbre de la turbine met ensuite en action l’alternateur qui transforme l’énergie mécanique en énergie électrique. La puissance disponible produite par le barrage dépend donc de trois principaux facteurs : la force exercée, elle-même liée au débit, et la hauteur de chute.

En France, il existe environ 450 barrages dont 300 sont hydroélectriques. Ces barrages produisent 18% de l’électricité que nous consommons, contre 75% pour le nucléaire. Mais tout comme les centrales nucléaires, l’électricité produite par les barrages ne peut pas être stockée, elle doit être immédiatement transportée (par des lignes à haute tension) puis utilisée.

Il existe différents types de barrage. Les deux principaux sont les barrages poids qui sont constitués d’une digue, le plus souvent en béton, et sont situés dans des vallées larges, et les barrages voûtes, de montagne, dont la forme permet de s’adapter au relief. Les autres types de barrages portent des noms aussi barbares que contreforts ou multivoûtes, mobiles à aiguilles, mobiles à battant ou en remblais.

Pour plus d’informations techniques mais non moins exquises, je vous conseille de regarder l’émission « C’est pas sorcier » sur les barrages (http://www.youtube.com/watch?v=MLIY632y9Ps). Bon d’accord, Fred et Jamy ont un peu vieilli, mais on ne se lasse pas de leurs maquettes ni de leur camion à tout-faire…

A quoi sert un barrage ?

Outre ces barrages hydroélectriques, un barrage peut remplir de nombreuses autres fonctions : l’irrigation, l’approvisionnement en eau potable ou encore la régulation du débit et la protection contre les inondations. Il existe 45 000 grands barrages dans le monde (de plus de 15 mètres de hauteur et dont le réservoir contient au moins 3 millions de m3 d’eau) dont quasiment la moitié est localisée en Chine (22 000).

Les 5 plus grands barrages au monde (en volume)

N°1 - Les Trois Gorges, Chine

N°2 - Syncrude Tailings, Canada

N°3 - Chapetón, Argentina

N°4 - Pati, Argentina

N°5 - New Cornelia Tailings, USA

Le premier barrage de mémoire d’homme aurait été sur le Nil, construit vers 4000 ans avant JC afin d’assécher une zone constructible pour la ville de Memphis.

Les barrages les plus controversés

Vous avez probablement déjà entendu leurs noms dans la presse internationale, tant les campagnes contre ces barrages font ou ont fait rage. Je n’en ai sélectionné que trois, les Trois Gorges pour son ampleur, le barrage d’Ilisu en Turquie puisque nous nous sommes rendus sur les lieux et Nam Theun 2, au Laos, puisqu’il fera l’objet d’une de nos études de cas d’ici quelques mois.

Barrage des Trois Gorges (Chine) Non content d’être le plus grand barrage au monde, les Trois-Gorges est aussi le plus polémique. Au total, 2309,5 mètres de long, 185 mètres de haut, 10 milliards de mètres cubes et 32 turbines ont été nécessaires pour dompter le Yangtsé. Cependant, d’autres chiffres laissent plus pantois : déplacement de 2 millions de personnes, anéantissement de sites archéologiques et écologiques d’importance mondiale, corruption, violation massive des droits humains. La France a participé au projet à travers l’implication d’Alstom et BNP-Paribas, bénéficiant d’une garantie publique de la COFACE.

Barrage de Nam Theun 2 (Laos)

Ce barrage a été lancé par EDF en 2005 sur un affluent du Mékong. Il marque le retour des investissements de la Banque Mondiale dans les grands barrages puisque celle-ci s’était retirée de tout projet pendant une période de 10 ans (1993-2003) afin de rédiger les termes de référence que les nouveaux ouvrages doivent aujourd’hui respecter. Malgré l’approbation de l’institution financière, les opposants au projet, outre les conséquences sociales et écologiques, avancent l’argument selon lequel l’énergie produite par le barrage (1 070 MW) serait en majeure partie exportée vers la Thaïlande, imposant au Laos un risque financier pharaonique si son voisin venait à se désengager.

Barrage d’Ilisu (Turquie)

Vous avez pu voir des photos de la ville d’Hasankeyf dans notre dernière newsletter qui risque de disparaître sous les eaux si Ilisu venait à voir le jour. Le barrage sur le Tigre, s’inscrivant dans la lignée du GAP, engendrerait le déplacement de 78 000 personnes, dont une majorité de Kurdes, ainsi que des tensions possibles avec la Syrie et surtout l’Irak, en aval du fleuve. Rappelons par exemple que le remplissage de son voisin Atatürk avait entraîné une coupure totale du débit de l’Euphrate vers la Syrie pendant 1 mois. Ilisu est devenu l’emblème des campagnes anti-barrages puisque leur lobbying a entraîné le retrait du financement des agences de crédit à l’exportation allemande, autrichienne et suisse, suivis de près par Société Générale. Lors de notre visite au siège du GAP et de DSI, les personnes rencontrées nous ont cependant assuré la complétion du barrage dans les prochaines années. Affaire à suivre.

Les 7 recommandations majeures de la Commission Mondiale des Barrages

Ces recommandations proposent « une approche nouvelle de la prise de décision, fondée sur la reconnaissance des droits et l’appréciation des risques pour tous les groupes concernés » (Source : www.dams.org)

Obtenir l’accord informé des personnes affectées ;

Évaluer toutes les options possibles en amont du projet ;

Mener des évaluations participatives périodiques des barrages ;

Préserver les cours d’eau et les moyens de subsistance, en donnant la priorité à la maximisation des systèmes existants ;

Reconnaître les droits et partager les bénéfices, en mettant en place des mécanismes d’atténuation, d’indemnisation et de compensation

Assurer l’application des normes en mêlant incitations et sanctions ;

Partager les cours d’eau pour la paix, le développement et la sécurité.

Ces 7 recommandations ont été approuvées par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement).

Les arguments POUR

Ils proviennent principalement de la fonction intrinsèque des barrages :

§ Fonction de stockage et de régulation

De par leur retenue d’eau et la possibilité littérale d’ouvrir et de fermer les vannes, les barrages assurent la régulation des cours d’eau et par là-même la réduction des inondations et des crues. Ils permettent également de stocker l’eau pendant les périodes à forte pluviométrie et de la redistribuer lorsque le besoin s’en ressent.

§ Fonction de production d’électricité

Dans les pays en développement en particulier, les barrages représentent un potentiel hydroélectrique important. Le Brésil, par exemple, pourrait multiplier par trois ses capacités en produisant 240 000 MW de plus qu’au jour d’aujourd’hui.

§ Une énergie propre et renouvelable

L’hydroélectricité est une énergie propre puisque l’eau est restituée intégralement en aval du barrage et avec la même qualité que lors de son flux en amont. D’autre part, la production hydroélectrique n’entraîne aucune émission de gaz à effet de serre et est flexible dans la mesure où elle peut être régulée en fonction de la consommation.

§ Des possibilités de développement

Un barrage amène avec lui eau potable, irrigation, agriculture, usage industriel et autant d’espoirs pour les populations attenantes. Dans la vallée de l’Euphrate en Syrie par exemple, les trois barrages de Teshrin, Tabqa et Al Bath ont permis à des millions de personnes de venir s’installer dans des villes nouvellement créées et de s’adonner à l’agriculture. Entre autres conséquences sociales, apporter l’eau courante dans les villages permet de diminuer les risques de maladie et d’augmenter l’éducation des jeunes filles et des femmes (qui ne sont plus chargées de la corvée d’eau).

Les arguments CONTRE

Ils sont de différentes teneurs : écologique, hydrologique, sociale, politique…

§ La fragmentation écologique

De par leur hauteur, les barrages empêchent la migration d’espèces aquatiques, c’est ce qu’on appelle la fragmentation écologique. Afin de contrebalancer cet effet, des mécanismes ont été mis en place sur certaines infrastructures : les échelles à poissons ou même le transport par camion. Cependant, ces derniers restent limités en nombre autant qu’en efficacité.

§ Les inondations

En remplissant leurs réservoirs, ces énormes retenues d’eau inondent de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de km2. Les Trois Gorges par exemple s’étale sur une surface de 1 084 km². Et ce ne sont pas toujours des zones inhabitées ou dénuées de richesse qui se retrouvent sous les eaux : outre une destruction de la biodiversité, de nombreux trésors de l’architecture et du patrimoine ont été enfouis. Certains ont fait l’objet de fouilles et d’excavations et sont aujourd’hui exposés dans des musées.

§ Les déplacements de populations

Ce sont aussi des villages et des villes qui sont inondés. On estime qu’au XXème siècle, 40 à 80 millions de personnes ont été déplacées à cause des grands barrages. Les victimes se voient souvent recevoir de très maigres compensations, quand elles ne sont pas inégales. Sur le projet du GAP par exemple, les premières compensations versées étaient établies en fonction de la propriété terrienne, laissant les « sans-terres » turcs, encore plus désœuvrés, migrer vers des bidonvilles déjà surpeuplés.

Il me faut tout de même mentionner une discussion avec un habitant d’Eski Kahta, village situé dans les hautes montagnes turques. Nous mentionnons les déplacements de population liés aux barrages. Sur ce, notre hôte de répondre :

- Ces gens ont de la chance !

- Pardon ?

- Oui, nous aimerions beaucoup quitter notre village, mais nous n’en avons pas les moyens. S’il devait être inondé, nous pourrions partir !

Certes, cette prise de position ne reflète pas l’avis de toutes les populations déplacées, mais mon étonnement n’avait d’écho que ma curiosité et il me semblait nécessaire de me faire le relai de cette parole.

§ L’évaporation

Qui dit barrage dit retenue d’eau et qui dit retenue d’eau dit évaporation. Et certains chiffres sont effarants. Prenons le barrage d’Assouan sur le Nil par exemple, l’évaporation représente 10km3 d’eau par an, soit 12 à 18% du cours du Nil. Et le fleuve des pharaons est loin d’être assis au dernier banc de l’Afrique. La championne en titre est la Namibie dont le principal barrage dispense 14 millions de km3 d’eau et en perd par évaporation 45 millions de km3! Globalement, l’évaporation des barrages supplante les consommations domestiques et industrielles. Ne mélangeons pas tout, cette eau n’est pas perdue puisque, comme nous l’avons appris à l’école, l’eau fonctionne en cycle fermé : l’eau qui s’évapore sur la surface terrestre se condense, formant les nuages puis retombe sous forme de pluie. Cependant, la pluie ne s’arrête pas aux frontières et une goutte qui s’évapore en Namibie a peu de chance de retomber dans le même pays, étant « perdue » pour ses habitants.

§ Le bouleversement des régimes hydrologiques

Un barrage est une œuvre de l’homme, il va à l’encontre de la nature et bouleverse donc le débit naturel du cours d’eau, ayant des conséquences sine qua-non en aval sur le niveau des nappes, les zones humides, la sédimentation et la qualité de l’eau (dégagement de méthane). Les gros barrages retiennent non seulement l’eau, mais également les sédiments et les limons. L’eau est appauvrie biologiquement nécessitant l’usage d’engrais, l’érosion naturelle est bouleversée et la faune et la flore en subissent également les conséquences. D’autre part, les eaux de drainage ou de reflux sont souvent polluées par les engrais dispersés sur les cultures irriguées.

§ Stagnation des eaux et maladies

Les grandes quantités d’eau retenues ne sont pas toujours utilisées à court ou moyen terme. Certaines eaux stagnent dans ces lacs improvisés, devenant fertiles, par eutrophisation, au développement de maladies (bilharziose, paludisme) et de gîtes larvaires.

§ Investissements démesurés et fierté des Etats

Mettre en place un système d’assainissement ne fait pas propre sur un programme électoral. Par contre, faire la course au plus grand barrage mondial, en y investissant des milliards de dollars pour que le monde en parle vient flatter l’égo de son promoteur. Les barrages sont souvent considérés comme la vitrine et le symbole de la puissance des Etats et de la domination des hommes sur la nature. Malheureusement, ils sont souvent agrémentés d’investissements démesurés et hâtifs, avec leur lot de corruption.

A travers ce (long) article, j’ai voulu vous présenter, sous plusieurs de leurs angles, les barrages. Pour ou contre, à vous de vous faire une idée, mais j’espère vous y avoir aidé en fournissant ici quelques pistes de réflexion. N’hésitez pas à poster des commentaires, remarques, félicitations ou jets de pierre ! Nous sommes maintenant sur le Jourdain et les tensions y sont autrement plus palpables. A découvrir dans nos prochains articles. Le Moyen-Orient est une mine de rencontres, d’informations, de paysages et de découvertes, il nous reste tant de choses à dire !

A bientôt

E2E

Pour en savoir plus…

Sites internet

Commission Mondiale des barrages (CMB)

www.dams.org

Le rapport de la CMB, intitulé « Dams and Development » paru en 2000, y est téléchargeable.

Les Amis de la Terre

http://www.amisdelaterre.org/-Grands-barrages-.html

Livres:

« La guerre des barrages : Développement forcé, populations sacrifiées, environnement dévasté » par Jacques Leslie et Françoise Bouillot (Broché - 9 octobre 2008)

« Partager l’eau: Les enjeux de demain » par Alexandre Taithe et Jean Jouzel (Editions TECHNIP, 2006)


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