Entre Deux Eaux

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Jourdain

Le Jordan River Peace Park

Il y a deux semaines, nous sommes allés sur le terrain pendant 2 jours. Objectif : Remonter le Jourdain. Nous avons embarqué avec nous notre ami et diplômé en IWRM (Integrated Water Resources Management), Anselme IBING, qui a pu nous éclairer sur bon nombre de points. Outre les stations de pompage, canaux de dérivation, barrages et autres infrastructures, nous avons eu l’immense opportunité d’aller visiter le « Jordan River Peace Park ».

Ce site est d’une importance remarquable de par son statut : le Peacepark est en réalité une île , également appellée Bakoora ou Naharayim, située entre le Jourdain et le Yarmouk (un de ses principaux affluents), c’est-à-dire entre Israël, la Syrie et la Jordanie, à 2km au sud du lac de Tibériade (source du Jourdain) et surplombée par la Golan, une des zones les plus « chaudes » du Moyen-Orient.

L’histoire

L’histoire de l’île n’est pas sans rebondissements : en 1927, Pinchas Rutenberg, immigrant russe et fondateur de la Palestine Electric Company (PEC), signe un accord avec le roi jordanien Abdullah 1er afin d’utiliser cette zone pour y construire une usine hydroélectrique. A cette fin, des canaux et des barrages sont construits afin de diriger le flux des deux rivières, créant l’ île en elle-même. Cette station électrique 32-48 permit de fournir de l’électricité à toute la zone jusqu’en 1948. A cette date, la Jordanie perd le petit bout de territoire au profit de son voisin méditerranéen lors de la guerre israélo-arabe.

En 1994, suite aux accords de paix entre Israël et la Jordanie, le territoire est rétrocédé à cette dernière et reçoit le titre de « Peace Park », permettant aux israéliens comme aux jordaniens d’y entrer sans visa. Les israéliens entrent par le pont de Naharayim tandis que les jordaniens entrent du côté de Bakoora. La zone est composée de 882 dunums (1 dunum = 1000m2). Curieusement, malgré le fait que ce territoire soit aujourd’hui officiellement jordanien, un accord concomitant entre les deux pays autorise Israël à y cultiver certaines parcelles jusqu’en 2019.

Naharayim bridge permettant l’accès au Peace Park pour les israeliens

Après 1994, l’île devient un symbole de coopération entre les deux pays et permet de rassembler de nombreuses familles séparées depuis la guerre Israélo-arabe. Il faut dire que depuis la guerre de 1948, tous les palestiniens ayant quitté la Palestine à cette période n’ont plus l’autorisation d’y retourner. La majorité d’entre eux s’est exilée en Jordanie et a depuis acquis la nationalité de son pays d’accueil. Cependant, les personnes restées en Israël ont-elles aussi acquis un passeport qui leur permet difficilement de traverser la frontière. Si bien que certaines familles, séparées depuis une cinquantaine d’années, ont vu dans le Peace Park une formidable opportunité de s’y retrouver.

Mais le bonheur ne dure pas : en 1998, 7 jeunes filles israéliennes perdirent la vie sur l’île sous les balles d’un soldat jordanien, prétextant les avoir vu rire alors qu’il exécutait sa prière. Le soldat prit 25 ans de prison mais l’épisode resta gravé dans les mémoires. Depuis cette période, les deux peuples peuvent toujours se rendre sur l’île sans visa mais ont interdiction de sortir de voiture ou du chemin touristique tout tracé. Une belle perte pour l’humanité…

Ancienne usine de Rotenberg, abandonnée depuis 1948

Depuis quelques années, l’ONG « Friends of the Earth Middle East » (FoEME) (www.foeme.org), appuyée par les résidents et les municipalités environnantes, tente de convaincre les gouvernements respectifs de rendre à Bakoora son statut de Peace Park et d’y développer une Joint-venture touristique et écologique sur une zone de 2 à 3 km de plus qu’actuellement, englobant le site de Jeser Al Majama / Gesher.

Les définitions

Une zone transfrontalière protégée, selon la définition de l’Union de Conservation Mondiale de la Nature (IUCN), est une zone protégée qui s’étend outre les frontières de plusieurs pays et où les frontières politiques inclues dans la zone sont abolies. Cela inclut le retrait de toutes formes de frontières physiques permettant le libre déplacement des hommes et des animaux dans la zone. Une frontière autour de la zone peut cependant être maintenue pour empêcher les franchissements de frontières non autorisés. Ces zones sont aussi connues sous le nom de Peace Parks.

Les Peace Parks sont des zones transfrontalières protégées dédiées à la protection et à la gestion de la diversité biologique, des ressources naturelles et culturelles associées, et à la promotion de la paix et de la coopération. Les parcs encouragent le tourisme régulé, le développement durable et la bonne volonté entre les pays voisins.

La visite

Cela faisait un mois que nous tentions d’obtenir l’autorisation militaire pour nous rendre sur l’île. Sans succès : la semaine précédente, 2 soldats israéliens s’étant faits tuer à proximité de la zone, les contrôles militaires étaient renforcés. Mais en arrivant à Sheikh Hussein (petite communauté au sud du Peace Park), notre rendez-vous nous annonce qu’il a réussi à nous obtenir le permis de visite.

Après plusieurs contrôles militaires, les gardes nous font attendre dans un petit patio extérieur où une quinzaine de femmes et enfants patientent déjà. Tous nos appareils électroniques sont confisqués : appareils photos, caméras… Au bout d’une quinzaine de minutes, nous embarquons dans un petit bus où ma voisine m’offre des feuilles, visiblement comestibles que je mâche plus pour calmer mon excitation que par véritable appétit. Nous arrivons sur l’île. Sur notre gauche, les ruines de l’usine de Rotenberg, rongées par la végétation et envahies par la flore, entourées par deux palmiers majestueux. Je contemple ce reste d’histoire lorsque l’agitation envahit le bus : des voitures israéliennes ! Les femmes jubilent, les enfants babillent, tout le monde pousse des « Oh ! » et des « Ah ! » d’étonnement et de contentement. Puis c’est un autre « Oh ! » sur la gauche : le Jourdain, enfin ! Nous l’attendions depuis si longtemps !

Il faut dire qu’en Jordanie, la zone entourant le fleuve est déclarée zone militaire protégée. Les seuls autorisés à s’en approcher sont les fermiers ayant des terres sur les rives et même eux sont contrôlés chaque jour. Mis à part les ponts frontières, les seules zones où il est possible de s’approcher de l’eau sont donc le Peace Park et le site du baptême, au nord de la Mer Morte.

Je m’étais préparée à ne voir derrière la vitre que la décrépitude d’une gloire passée mais la réalité a dépassé mon imagination : large de deux mètres maximum, et entouré de roseaux, la ressemblance avec le canal entourant la citadelle de Vauban à Lille me frappe de plein fouet. De ce fleuve mystique et sacré, berceau des religions et des cultures, il ne reste qu’un lit de roi où se serait couché un imposteur.

Nous continuons notre chemin entre les herbes hautes, chacun parcouru de ses sentiments propres face à une apparition de la sorte, lorsque nous arrivons à la confluence du Yarmouk et du Jourdain. A notre gauche, Israël. A notre droite, la Jordanie. Au nord-est, le Golan (appelé par les habitants de la région « Syrie occupée »). Au loin, à 2km, le lac de Tibériade. Je me retourne sur moi-même et ne peux m’empêcher de constater l’harmonie du paysage environnant. Pourquoi cette zone, si verte et si splendide, est-elle devenue un lieu de non-dits, d’interdictions et de haine ? le grillage entourant l’île est si mince qu’on a envie de s’y glisser la nuit, juste pour constater que cette terre est une terre comme une autre. Sur le chemin du retour, nous demandons au commandant militaire qui nous accompagne :

- Pourquoi ne prenez-vous pas la même route que les voitures israéliennes ?

- Autrefois nous la prenions, mais maintenant nous préférons faire un détour pour les éviter.

Nous regardons les restes du projet avorté de Hejaz Railway, qui avait pour but de transporter les pèlerins de Damas à Médine, et ne pouvons que constater que le lien entre ces peuples est encore loin d’être tissé.


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