Conflit
Un conflit de rivière : la frontière entre l’Angola et la Namibie
Il y a de ces frontières qui semblent ne jamais vouloir se fixer. Difficile de leur en vouloir : d’un côté comme de l’autre, les cultures sont relativement identiques, on y mange les mêmes plats et y écoute la même musique. Notre voyage nous avait mené sur le territoire de XX d’Alexandrette qui figure à la fois sur la carte de la Syrie et celle de la Turquie ou plus tard sur les très controversés plateaux du Golan qui n’ont heureusement pas abandonné dans le conflit entre la Syrie et Israël la magnificence de leurs paysages. Nous voilà sur un autre continent, qui n’en est pas moins tiraillé par les guerres de territoire. L’Afrique a cela de particulier qu’une grande partie de ses frontières a été déterminée au temps du règne des puissances coloniales : France, Couronne d’Angleterre, Royaume du Portugal ou Allemagne ont laissé derrière eux un territoire qui semble découpé à la machette. Pour un territoire désertique, là n’est pas le problème : les puissants recherchent moins l’espace que les ressources. Par contre, dès que la géographie s’en mêle, le scenario devient plus complexe. La Namibie et l’Angola n’échappent pas à la règle.
Cet article est basé sur une interview avec un membre du ministère de l’agriculture, eau et foret, Commissionnaire à la Commission sur le Bassin de l’Okavango (OKACOM) et siégeant également au Comité sur la rivière Kunene, représentant la Namibie. Il ne reflète donc pas subjectivement la vision de l’Angola.
Commençons par remettre les choses dans leur contexte : depuis les années 1880, l’Allemagne de Bismarck (dont la main a été quelque peu forcée par le marchand Adolf LÜDERITZ), a établit un protectorat sur la Namibie. Le Protectorat fut établit officiellement en 1892, même si la Schutztruppe allemande, dirigée par Curt Van François, avait installé ses quartiers en Namibie dès la décennie précédente. La colonisation allemande se fait non sans fracas : des guerres avec les tribus ainsi que la découverte de diamants ne rendent pas les choses faciles. L’Afrique du Sud est, elle, sous la coupe des anglais qui profitent de la première guerre mondiale pour la pousser à envahir la Namibie, reproduisant à l’échelle africaine le schéma européen. Les troupes sud-africaines pénètrent donc sur le territoire namibien et repoussent les allemands dans une dernière bataille à Khorab, à côté de Tsumeb, en mai 1915. Le traité de Versailles, en 1919, marque officiellement la fin de la présence allemande en Afrique puisque l’Allemagne se voit forcée de renoncer à ses colonies. La Namibie est donc sous administration militaire sud-africaine, et le restera jusqu’en 1972.
Mais revenons quelque peu en arrière, en 1891 précisément. La Namibie est encore sous contrôle allemand tandis que l’Angola, lui, est soumis à la puissance Portugaise. Les deux puissances coloniales se rencontrent lors d’une conférence destinée à déterminer les frontières entre les deux pays. A l’issue de la conférence, un document est signé, disant que la frontière (à l’ouest) suivra la rivière Kunene jusqu’à Ruacana puis sera dessinée selon une ligne droite orientée est-ouest jusqu’à sa rencontre avec Okavango. Cependant, cette description est ambigüe puisqu’il existe deux points pouvant correspondre au mot « Ruacana » : les chutes d’eau et, 7km plus au nord, les rapides. Bien sûr, chaque partie a compris ce qui l’arrangeait le plus.
Cette petite bande de terrain ne serait pas un problème en soi si elle ne représentait pas pour la Namibie une source d’approvisionnement en eau. Or, pomper l’eau en aval des chutes de Ruacana coûte approximativement deux fois plus cher que de le pomper en amont des chutes. L’élévation permet d’assurer une pression suffisante dans le réseau pour assurer le transport de l’eau alors que, dans le cas contraire, il faut installer un système de pompes supplémentaire afin de remplacer la pente naturelle. En 1926, après que l’Afrique du Sud ait obtenu un mandat des Nations Unies pour administrer la Namibie, les sud-africains décident de rouvrir le dossier et d’entamer les négociations avec leur voisin portugais. L’objectif est de déterminer la position exacte de la frontière, et avec elle, l’appartenance à la fois des eaux de surface et des eaux souterraines.
Alors que les négociations commencent à s’enliser (les portugais et leurs descendants sont réputés dans la région pour être extrêmement bien préparés à tout type de débat), les sud-africains décident d’accepter que la frontière soit placée au niveau des chutes de Ruacana, c’est-à-dire 7km au sud de ce qui, visiblement, était écrit dans l’accord de 1891. En échange, ils réclament le droit de pouvoir puiser gratuitement leur eau en amont des chutes. Les portugais proposent de séparer les deux accords : un pour la frontière et l’autre pour l’approvisionnement en eau. L’Angleterre, à son grand damne, accepte. Aujourd’hui, il n’existe aucune preuve de lien entre les deux accords et l’Angola réclame donc à la Namibie (devenus indépendants respectivement en 1975 et 1990), de payer des royalties pour venir chercher de l’eau sur son territoire.
Selon le point de vue de l’Angola, le conflit s’apparente à celui du Lesotho entre ledit pays et l’Afrique du Sud. Mettons que pomper de l’eau en amont des chutes coûte 10 unités et en aval 20 unités. L’Afrique du Sud a accepté de pays 10 unités, correspondant à des royalties, au Lesotho. Cependant, la Namibie argumente que l’Afrique du Sud n’a jamais donné de terre au Lesotho en échange de son eau. Aujourd’hui, ce conflit entre les deux pays courre toujours. Il est d’autant plus dérangeant que ce sont les mêmes personnes qui siègent aux Commissions des différents bassins : que l’on parle du Kunene, de l’Okavango, du Zambezi ou du fleuve Orange, on retrouve les mêmes têtes. Allez-donc demander à des politiciens de mettre de côté de vieilles querelles pour parler, UNIQUEMENT, de l’essentiel. Autant dire que certaines pelotes de laine ne sont pas prêtes d’être démêlées.