Entre Deux Eaux

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Infrastructures

Le canal de Jonglei

Le canal de Jonglei est un projet d’infrastructure entrepris au début du XXème siècle par les égyptiens et les soudanais, alors sous contrôle anglais. L’objectif en était de relier les eaux marécageuses de la région de Bahr el-Jebel, dans le sud Soudan, et de les drainer à travers un canal afin qu’elles se déversent plus haut dans le Nil Blanc. Officiellement, ce projet avait pour objectif d’utiliser le flux annuel de 4,7 milliards de m3 des eaux du Sudd (région autour de Juba) pour les distribuer équitablement entre le Soudan et l’Egypte. L’argument principal des égyptiens pour la construction de ce canal résidait en le fait que près de 15% de ces eaux étaient de toutes façons perdues par évaporation et transpiration. Alors, autant les utiliser ! Les travaux commencèrent en 1978 pour être arrêtés abruptement 5 ans plus tard par une attaque des rebelles du Sud Soudan (le SPLA). Depuis, le canal de Jonglei est resté au point mort, construit sur seulement 67% de sa longueur. Aujourd’hui, alors que le Sud Soudan est sur le point de voter pour ou contre son indépendance, le sujet revient au goût du jour.

Petit retour historique

La région nilotique, et en particulier les deux pays en aval que sont le Soudan et l’Egypte, ont été fortement marqués par la présence anglaise. Cette présence se manifestait sous des formes diverses : en Egypte, les anglais étaient intéressés par le coton dans l’objectif de développer les industries textiles du Royaume Britannique. Pour ce faire, un programme de développement de l’irrigation et d’utilisation des ressources en eau fut très rapidement mis en place. Au Soudan, les administrateurs anglais avaient établi une « occupation civilisée », étant eux-mêmes sortis d’universités telles qu’ Oxford ou Cambridge. Dans les pays en amont par contre, la colonisation fut plus violente et consistait à s’approprier les terres des paysans, donnant lieu par la suite à des mouvements de résurgence.

Le projet du canal de Jonglei fut mis sur pied dès le début du XXème siècle par des ingénieurs anglais, sous l’égide de William Garstin. Il était considéré à l’époque comme la solution ultime pour combler la forte demande en eau de l’Egypte et ainsi satisfaire la production de coton destinée à l’Angleterre. Avec les siècles, le flux et les vents avaient créé des barrages naturels dans les marais du Sudd dans le Sud Soudan, rendant la navigation sur cette partie du fleuve impraticable et créant une zone humide d’une taille considérable.

Le projet ne fut pas considéré avant 1938. Entre temps, l’accord de 1929 sur le partage des eaux du Nil fut signé entre les administrations anglaises du Soudan et de L’Egypte, garantissant :
o 48 milliards de m3 du flux total annuel du Nil à L’Egypte,
o 4 milliards de m3 du flux total annuel du Nil à au Soudan,
o 32milliards de m3 du flux total annuel du Nil aux pays en amont et au flux se déversant dans la Méditerranée.
Entre autres, l’accord de 1929 permettait aussi à l’Egypte de surveiller le flux dans les pays en amont et d’entreprendre des projets de développement sans en avertir les autres riverains. L’inverse au contraire, était interdit par l’accord.

En 1938, le gouvernement égyptien présenta à l’administration britannique soudanaise le projet de Jonglei. Outre le canal de diversion dans le Sudd, le projet comportait également deux barrages sur les lacs Victoria et Albert (en Ouganda). Ainsi formulé par les ingénieurs anglo-égyptiens, le projet apporterait un gain de 7,5 milliards de m3 d’eau pendant la saison sèche à l’Egypte, et donc aux anglais (en addition aux 48 milliards garantis par l’accord de 1929). Cependant, l’éclatement de la Seconde guerre Mondiale interrompit le projet jusqu’en 1945, date où le gouvernement Soudanais décida de créer l’ « équipe d’investigation du Jonglei » (Jonglei Investigation Team) pour redonner vie au projet.

Les années 50 virent l’indépendance des deux pays en aval du Nil, respectivement en 1952 pour l’Egypte et 1956 pour le Soudan. En parallèle, des plans pour la construction du canal de Jonglei furent développés (1954-59). En 1974, un accord bilatéral fut signé pour entamer la construction, qui commença en 1978. Mais c’était sans compter sur l’instabilité politique du Sud Soudan. En 1984, alors que 240km sur un total de 360km avaient déjà été excavés, les rebelles du SPLA attaquèrent la zone, arrêtant net les travaux. On peut voir encore aujourd’hui les prémices du canal sur Google Earth. Dans la région, le projet est ironiquement dénommé « Sarah », du nom de la machine d’excavation allemande. L’objectif des rebelles est de pouvoir exploiter les eaux qui coulent sur leur territoire en perspective de leur indépendance, droit que personne ne peut leur refuser. La situation politique au Sud Soudan ainsi qu’entre le Soudan et l’Egypte rend le sujet du Canal de Jonglei plus qu’épineux, et entouré d’une tension géostratégique importante.

Les conséquences sur la faune et la flore

Le Sudd avec ses 30 000km2 est une des plus vaste zone humide au monde, l’assécher aurait des conséquences désastreuses sur la biodiversité et l’écosystème, entre autres :
o Le marais est un point d’eau pour de nombreuses espèces migratoires comme les antilopes (cob à Oreilles blanches, Tiang, gazelle Mongalla, Lechwe du Nil) et les oiseaux (Bec-en-Sabot, Pelican blanc, Grue couronnée) ;
o Il permet aussi le développement de nombreuses espèces végétales : certaines variétés de riz pourraient être cultivées dans la plain inondée permettant de faire face à l’insécurité alimentaire au Soudan ;
o Le Sudd est le lieu de vie de nombreuses tribus pastorales comme les Dinka, les Nuer et les Shilluk (ou Cholo). La destruction des habitats de poisson et des zones de pâturage porteraient gravement atteinte à leur subsistance outre le fait que les bénéfices du projet les délaisse complètement, au profit du Nord Soudan et de l’Egypte ;
o Enfin, la destruction d’une zone humide a un impact significatif sur le climat, la recharge des eaux souterraines, le limon et la qualité de l’eau (Voir article sur « Les zones humides » )

Les avantages

Malgré une opinion publique globalement défavorable au projet, il convient d’en analyser tous les points de vue, y compris les avantages :
o Drainer les eaux du Sudd permettrait de rendre les voies navigables et ainsi de permettre un meilleur transport entre le Sud Soudan et les autres riverains ;
o Réduction des inondations ;
o Le Sudd abrite une grande population de moustiques et de parasites apportant avec eux de nombreuses maladies létales ;
o Le support financier apporté pour le canal permettrait au Sud Soudan de réaliser ses plans de développement économique et social (ce dernier argument est à prendre avec des pincettes car, comme montré précédemment, les bénéfices du canal iraient principalement au Nord Soudan et à l’Egypte).

La situation actuelle

Avec l’apaisement de la situation après les années 2000, il fut question, du côté égyptien, de remettre le projet en œuvre. Après une première annonce peu enthousiaste le 21 février 2008, le gouvernement soudanais accepta de recommencer les travaux. Mais avec la séparation de l’administration entre le nord et le Sud Soudan, les égyptiens ont besoin de l’accord du Gouvernement du Sud Soudan (GoSS) pour aller plus loin. Or en août 2009, ce dernier a réitéré sa réserve à ce propos. Une étude de faisabilité doit être mise en œuvre, qui devrait être menée par le Ministère de l’Irrigation du Sud Soudan. Un petit coup d’œil aux nombreux blogs sur le sujet suffit à comprendre le rejet de la population sud soudanaise à propos du projet. L’Egypte y est présentée comme le grand méchant opportuniste de l’histoire. Et on aurait du mal à leur donner tort.

Le fait est que l’Egypte a un besoin urgent d’eau. Or, si les pays en amont ont tous ou presque d’autres sources d’approvisionnement, l’Egypte en est fortement dépourvue. Avec 98% de désert et une population qui n’arrête pas de grandir, la République a dans l’idée de développer encore et encore des terres déjà surexploitées ou complètement inadaptées. Ainsi, un programme de développement égyptien prévoit de cultiver 6000 km2 de terres désertiques, nécessitant 99 milliards de m3 d’eau par an supplémentaires que seul le canal de Jonglei pourrait leur apporter. Avec presque 80 millions d’habitants, la demande en eau de l’Egypte devrait excéder son offre d’ici 2017 (Source : Rapport du Gouvernement Egyptien, Août 2009). C’est pourquoi le gouvernement Egyptien presse le GoSS de leur donner le feu vert pour la complétion des travaux.

Or, le GoSS n’est pas pressé de le faire, surtout pour un projet dont les bénéfices iraient en quasi-totalité à l’Egypte, privant la population locale d’une ressource vitale. Il semble donc que le canal de Jonglei doive aujourd’hui se soumettre aux résultats du Référendum de 2011 sur l’indépendance du Sud Soudan (Voir article « Khartoum, deux semaines avant les élections (Soudan) » ). Si celle-ci est votée, les relations géopolitiques autour du Nil risquent d’être complètement modifiées, faisant passer le nombre de pays riverains de 10 à 11. Il est également fort à prévoir que dans ce cas, le nouveau gouvernement ait d’autres chats à fouetter que de s’occuper du canal de Jonglei.

Sources:
o Interview avec Yahia AL MAGEED, ancien Ministre de l’Irrigation et des Ressources en Eau au Soudan, Khartoum, 25 Mars 2010
o “Jonglei Project in Southern Sudan: for whose benefit is it?”, Sudan Tribune, Monday 28 May 2007 http://www.sudantribune.com/spip.php?article22060
o “Jonglei canal project needs to be revised, South Sudan says”, Sudan Tribune, Saturday 8 August 2009, http://www.sudantribune.com/spip.php?article32062
o “Jonglei Canal Project is a looming catastrophic”, Sudan Tribune, Saturday 9 September 2006, http://www.sudantribune.com/spip.php?article17510
o “Jonglei Canal project - Protect local interests first”, Sudan tribune, Friday 22 September 2006, http://www.sudantribune.com/spip.php?article17721
o “Sudd”, Wikipedia, visited on the 22nd of March 2010,
o “Unpredictable threat of Jonglei Canal”, Sudan Tribune, Tuesday 29 August 2006, http://www.sudantribune.com/spip.php?article17304
o “An Overview of the Egyptian-Sudanese Jonglei Canal Project”, Dr. Mohammed Abdel-Ghani Sa’oudi, http://www.siyassa.org.eg/ESiyassa/ahram/2001/1/1/STUD4.htm


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