Entre Deux Eaux

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Expertise en management stratégique de projets complexes dans le domaine de l’eau

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Newsletter n°4

Le Jourdain : attention eaux politiques !

Le Jourdain. Quel fleuve plus politique, religieux, idéologique et historique que celui-là ? Au Moyen-Orient, les guerres font rage, dont nombre sont liées à la situation hydrologique de la région. Partagé par cinq pays (Liban, Syrie, Israël, Palestine, Jordanie) aux richesses en eau diverses et variées, le bassin d’un des fleuves les plus connus au monde est aujourd’hui quasiment asséché. D’où viennent ces tensions, qu’impliquent-elles, que vont-elles devenir ? Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre après deux mois passés dans la région à ouvrir grand nos yeux et nos oreilles et à noter ces précieuses informations et témoignages dans notre petit carnet bleu…

L’eau au Moyen-Orient – Etat des lieux

Le Moyen-Orient est une région relativement pauvre en eau. Alors que les Etats du golf s’en sortent plutôt bien, grâce à un portefeuille bien rempli, la situation est un peu différente lorsque l’on se dirige vers la Méditerranée. Les régions de Galilée et du Golan sont le château d’eau d’Israël, ainsi que de l’Autorité Palestinienne. La Jordanie, quant à elle, est moins bien servie puisqu’elle partage toutes ses principales ressources en eau avec d’autres pays : le Jourdain avec Israël, l’aquifère de Disey avec l’Arabie Saoudite, le Yarmouk avec la Syrie.

La région souffre de trois problèmes majeurs : l’évaporation puisqu’en été les températures grimpent jusqu’à 40 à 50°C, l’érosion des sols et depuis 5 ans, de fortes sécheresses.

L’Etat d’Israël, la Palestine, la Jordanie, le Liban et la Syrie se partagent, pour l’essentiel, les mêmes ressources en eau :

- Le Jourdain, long de 30km environ, il prend sa source dans le mont Hermon (au nord d’Israël) et se jette dans la mer Morte. Il est alimenté par trois sources principales : le Hasbani venant du Liban, le Banyas sur les plateaux du Golan et le Dan d’Israël. Au sud du lac de Tibériade, il est rejoint par le Yarmouk venant de Syrie puis de Jordanie (lire l’article sur le Peace Park à la confluence). Au jour d’aujourd’hui, des 640 millions de mètres cubes de débit annuel à sa source ne restent qu’environ 200 millions de mètres cubes à son arrivée dans la Mer Morte, soit presque rien pour un fleuve de cette importance (en comparaison, le débit annuel du Nil est environ de 84 milliards de m3). Où part toute cette eau ? 75% sont détournés vers le « National Water Carrier » israélien afin d’alimenter le pays en eau. Le reste est détourné par la Jordanie via le King Abdullah Canal et la Syrie (puits profonds, vastes zones de retenues, projets de 28 barrages) au niveau du Yarmouk. Si bien que le Jourdain est presque à sec et que la Mer Morte porte bien son nom, puisque son niveau baisse chaque année d’un mètre environ et qu’elle se trouve aujourd’hui à -415 m en dessous du niveau de la mer.

Deux aquifères fournissent plus du cinquième des ressources à la région:

- L’aquifère de montagne se situe sous les collines de Judée-Samarie, c’est-à-dire à cheval entre la Palestine et Israël, et dispose d’environ 660 millions de m3/an partagés en 3 bassins : ouest, nord et est.

- L’aquifère côtier, étiré d’Haïfa à Ashkelon en passant par la bande de Gaza, avec une capacité d’environ 300 millions de m3/an.

Sources de la régionSource : http://www.passia.org/

Les quantités d’eau potable de bonne qualité disponibles par personne et par an sont variables en fonction des pays de la région :

§ 250 m3 en Israël,

§ 85 m3 dans les Territoires Palestiniens,

§ 150 m3 en Jordanie,

§ 1 200 m3 à 3 000 m3 par personne et par an pour le Liban et la Syrie, sans tenir compte du Golan pour la Syrie (du même ordre que la France).

(Source : Interview avec Dr Abdelrahman Tamimi, Director General of the Palestinian Hydrology Group, 07 Avril 2009).

Le Jourdain, un lourd passé

(Pour consulter l’historique complet de la région, cliquer sur ce lien)

L’eau est intimement liée à l’historique de la région. Déjà au lendemain de la première guerre mondiale, le président de l’Organisation mondiale sioniste, Haïm Weizmann, adressa au Premier ministre anglais Loyd George la lettre suivante : “Tout l’avenir économique de la Palestine dépend de son approvisionnement en eau… Nous considérons qu’il est essentiel que la frontière Nord de la Palestine englobe la vallée du Litani sur une distance de près de 25 miles, ainsi que les flancs ouest et sud du mont Hermon”. L’objectif était de garantir au futur état une autosuffisance en eau et d’éviter les conflits liés à la ressource. Cependant, en 1920, suite à la conférence de San Remo, la frontière est fixée à une trentaine de kilomètres au sud du Litani.

En 1948, lors de la Guerre d’indépendance israélienne avec ses voisins arabes, les dirigeants du nouvel Etat israélien ont toujours en tête des objectifs incluant les ressources de la région :

1/ Contrôler la Galilée et le Jourdain pour maîtriser les ressources hydriques,

2/ Renforcer économiquement la zone côtière et ses villes,

3/ Faire fleurir le désert du Néguev pour absorber les flux migratoires.

A la fin de la guerre, environ 727 000 Palestiniens se réfugient dans les pays voisins.

A partir de 1953, les projets de développement des infrastructures fleurissent dans la région : Israël entreprend la construction du National Water Carrier, en partie détruit par des tirs d’artillerie syriens mais terminé tout de même en 1964 puis étendu en 1969. La Jordanie, quant à elle, termine le canal du East-Ghor ou King Abdullah canal en 1961, qui sert aujourd’hui à irriguer toute la partie ouest du pays. En 1965, Syrie et Liban entreprennent des projets de détournement du Yarmouk et du Hasbani afin de contrôler le Jourdain à la source.

En 1967, suite à la guerre des 6 jours et à l’attaque menée par les pays arabes, Israël contrôle de nombreux territoires stratégiques pour leurs ressources en eau : le Golan à la Syrie, la Cisjordanie et Jerusalem est à la Transjordanie, Gaza et le Sinaï à l’Egypte et le Liban Sud. Toutes les ressources en eau de Gaza et de la West Bank sont contrôlées par Israël. Depuis lors, les Palestiniens n’ont plus accès aux eaux du Jourdain, bien qu’étant un pays riverain sur 80km.

Dix ans plus tard, les « settlements » (voir paragraphe ci-dessous) israéliens commencent à s’installer sur les territoires palestiniens, concomitants à l’élection du Likoud. En 1980, de nouvelles restrictions sont imposées sur les puits suite aux sécheresses. En 1994, les Accords de Gaza-Jericho, venant compléter ceux d’Oslo, cèdent le contrôle des ressources en eau situées sous Gaza et Jericho à l’Autorité Palestinienne nouvellement créée. L’article 40 notamment traite de l’eau et des déchets mais a laissé les palestiniens insatisfaits sur de nombreux aspects (L’article ne fait pas mention du Jourdain, ni de l’état des ressources mais uniquement de l’approvisionnement, ne traite pas de sujets socio-économiques liés à l’eau comme les réfugiés et les settlements.)

Cependant, ces accords seront peu respectés et ne dureront que jusqu’à la 2ème intifada en 2000.

Les problèmes de gestion des ressources dans chacun des 3 pays : Israël, Palestine, Jordanie.

A la faible quantité d’eau de la région s’ajoutent de nombreux facteurs qui accentuent la gravité de la situation.

En Israël :

- La population israélienne aspire à un mode de vie européen ou nord-américain, qui vient en partie du rêve sioniste et en partie de la provenance de nombreux juifs israéliens, si bien que les habitudes de consommation de la population sont celles de pays riches en eau dans une région pauvre hydrologiquement : jardins verts et fleuris, piscines, espaces verts… ;

- Le lobby agricole est très fort: l’agriculture est subventionnée et utilise 65% des ressources en eau alors qu’elle ne représente que 3% du PIB ;

- Depuis une centaine d’année, l’agriculture pratiquée par les kibboutzim et les moshavim (voir vidéo « Kibbutz israélien ») occupe une place prépondérante dans la politique israélienne ;

- L’un des piliers du sionisme est de « rendre le désert bleu » pour « peupler le Néguev », impliquant l’irrigation de régions sèches et désertiques dans le but d’étendre les territoires juifs.

En Palestine :

- Le schéma agricole ne correspond pas aux ressources existantes : le pays est parcouru par des plantations bananes (notamment dans la région de Jericho « Royaume de la banane ») fortement consommatrices en eau. Cependant le gouvernement a toutes les peines du monde à changer les mentalités ;

- La population a parfois un usage immodéré de l’eau : le lavage de voitures est monnaie courante, sans compter le « dépoussiérage des rues » ;

- Il n’y a peu ou pas de gestion des déchets et des eaux usées : moins de 50 % des déchets sont collectés, nous avons passé notre séjour à faire la police auprès des petits et grands qui jettent tout n’importe où sans aucune considération pour leur environnement ;

- Les canalisations sont en très mauvais état, malgré des aides financières massives notamment européennes, qui ne semblent pas employées à cette fin : le réseau engendre près de 40 % de pertes;

- La croissance de la population est un phénomène aggravant: aujourd’hui la population atteint 1.5 million, et doit doubler d’ici 2020.

En Jordanie :

- Le « 4ème pays le plus pauvre en eau au monde » (variable en fonction des classements), c’est ce que tous les jordaniens n’ont pas arrêté de nous marmonner pendant notre séjour. La Jordanie a désespérément besoin d’eau pour poursuivre sa croissance économique et pour survivre tout simplement. Les jordaniens se tournent donc vers des solutions à grande échelle mais à un coût très élevé comme le canal Mer Rouge – Mer Morte (voir paragrapphe ci-dessous) ou la désalinisation ;

- Les aquifères sont surexploités : sur 12 nappes, 10 manquent d’eau ;

- L’agriculture jordanienne a besoin d’une réforme que le gouvernement tarde à entreprendre : l’agriculture représente seulement 3% du PIB pour 75% de l’utilisation des ressources. Le pays continue à exporter des bananes, tomates ou citrons et à « exporter son eau » (propos d’Abdulrahman SULTAN, membre de l’ONG Freinds of the earth Middle East à Amman). De plus, l’eau est subventionnée, notamment pour les agriculteurs qui, du coup, n’y font pas attention;

- Le réseau et les canalisations sont mal entretenus, par manque de moyens : plus de 40% de l’eau qui y entre est perdue ;

- Trois organisations principales s’occupent de la gestion de l’eau: le Ministère de l’eau et de l’irrigation (MoWI), l’Autorité Jordanienne de l’eau (WAJ) et l’Autorité de la Vallée du Jourdain (JVA), entraînant une gouvernance complexe et divisée.

Comment vit-on au Moyen-Orient sans eau ?

Pour un français, la situation de l’eau ici est inimaginable : que ce soit en Israël, Palestine ou Jordanie, l’eau est présente partout. Imaginez-vous que tous les jours, l’eau fasse la une du Monde, de Libé ou du Figaro. Imaginez-vous allumer votre téléviseur et que les campagnes de sensibilisation gouvernementales ne soient pas à propos des accidents de la route mais de l’eau. Imaginez-vous être approvisionnés en eau potable uniquement une fois par semaine ou par quinzaine (en général, les jordaniens sont approvisionnés tous les 7 jours, les palestiniens tous les 15 jours et les israéliens tous les jours). Imaginez-vous aller pique-niquer le dimanche près d’un lit de rivière à sec. Imaginez-vous ouvrir votre robinet et que rien ne coule, sans savoir quand le service sera rétabli. Imaginez-vous attendre la pluie avec impatience et prier pour qu’elle vienne. Imaginez-vous laver votre vaisselle avec l’eau de votre toilette puis tirer la chasse avec cette même eau. Nous, européens, ne pouvons pas nous imaginer la vie sans eau.

La situation est cependant très différente entre les trois pays. La Jordanie manque cruellement d’eau et les précipitations sont très faibles. L’utilisation est ainsi très limitée. La population est très sensibilisée au problème de l’eau et chaque foyer épargne l’eau dans la mesure de ses possibilités. Les parcs ne sont pas verts. Les jardins ne sont pas fleuris. Il n’y a pas de piscines municipales ni de parcs de loisir aquatiques. Israël, au contraire, malgré ses ressources limitées, en est une forte consommatrice. En arrivant dans le pays, rien n’indique l’état effectif de l’approvisionnement en eau. Cependant, pour autant que les individus en consomment immodérément, les entreprises et le public usent des infrastructures à la pointe de la technologie et économes en eau. Si les jardins publics sont fleuris, c’est grâce à de l’irrigation au goutte-à-goutte. Si la population a de l’eau potable en suffisance, c’est en partie grâce à la désalinisation. Les canalisations sont bien entretenues et les pertes sont faibles. Les campagnes de sensibilisation sont nombreuses.

La Palestine est un cas un peu à part qu’il nous faut étudier plus en profondeur.

La main-mise israélienne sur l’eau palestinienne

« Ils nous laissent vivre, non pas comme des êtres humains, mais comme des organismes biologiques ». Voilà en quels termes un habitant d’Hebron, ville palestinienne à moitié occupée par des israéliens, nous évoque sa situation en termes d’eau.

Les ressources en eau palestiniennes sont quasiment entièrement contrôlées par Israël, ne laissant que très peu de marge de manœuvre à l’Autorité Palestinienne. Mr. Shaddad AL-ATTILI, Ministre Palestinien de l’eau, a évoqué sa situation lors du Forum Mondial de l’eau qui s’est tenu à Istanbul en mars 2009 en parlant de « ministre virtuel » pour mettre en avant ses poings liés. Lors de notre interview avec Mr. Aiman J. JARRAR de l’Autorité Palestinienne de l’eau (PWA), celui-ci nous affirme : « Il y a une grande différence entre coexistence et coopération. Même le maître et l’esclave peuvent coexister. Pout coopérer, les deux partenaires doivent être égaux. La seule solution à notre problème d’eau est de mettre fin à l’occupation ».

Les accords d’Oslo et de Gaza-Jericho (1994)

Depuis les accords d’Oslo, la gouvernance du territoire palestinien est découpée en 3 zones :

Zone A = Totalement contrôlée par les Palestiniens ;

Zone B = Administrée par les Palestiniens, et sécurité assurée par les israéliens ;

Zone C = Cette zone restait à négocier suite aux accords d’Oslo, et s’est finalement avérée être totalement contrôlée par les Israéliens.

La carte ci-dessous représente de façon ironique le découpage du territoire Palestinien entre les zones A (en bleu), B (en vert foncé) et C (en vert clair). On remarque ainsi que chaque zone entièrement contrôlée par les palestiniens est entourée par une zone entièrement contrôlée par les israéliens, leur laissant peu de marge de manœuvre, que ce soit pour les déplacements de la population, le développement des infrastructures ou la gestion des ressources.

Archipel de Palestine Orientale

Selon ces mêmes accords d’Oslo, les Territoires Palestiniens doivent recevoir 28.6 millions de m3 d’eau par an pendant la période intérimaire de 5 ans jusqu’à signature de l’accord final en 1999. Israël a rempli sa part du contrat. Cependant, nous sommes en 2009 et les discussions pour la signature de l’accord final ne sont toujours pas entamées. Sur ces mêmes faits, les points de vue divergent. Du côté israélien, l’opinion est qu’alors même que le pays souffre d’une grave pénurie d’eau et qu’il a restreint sa consommation, Israël continue de transférer chaque année à l’Autorité Palestinienne la quantité d’eau prévue par les accords d’Oslo. Du côté palestinien, le point de vue serait plutôt de dire que les besoins augmentent dus à la population croissante et que malgré cela la quantité d’eau reçue est restée identique.

Qu’en est-il sur le terrain ? A l’argument de la droite israélienne selon lequel les palestiniens reçoivent suffisamment de financements internationaux pour construire leurs propres infrastructures, l’Autorité Palestinienne de l’eau (PWA) répond : « Avant Oslo, la Palestine devait faire approuver tout projet par l’administration civile israélienne. Depuis Oslo, la Palestine doit demander l’autorisation à 22 départements israéliens de cette même administration, dont le “concile des settlements israéliens”, qui donne très souvent son veto ». Sur 470 projets soumis l’année dernière par la PWA, seulement 180 ont été approuvés, et aucun pour les eaux usées. Le traitement de ces dernières engendre en effet un autre contentieux politique puisqu’Israël souhaiterait que la Palestine reconnaisse l’existence des settlements en utilisant les mêmes réseaux d’assainissement.

Les puits et tuyaux, largeurs non autorisées

Les puits et les tuyaux reçoivent le même tarif que les autres projets et infrastructures. En 1967, l’Ordonnance militaire n° 158 du 30 octobre dispose qu’ « il est interdit à quiconque de mettre en œuvre ou de détenir des installations hydrauliques sans avoir préalablement obtenu l’autorisation du commandement militaire ». C’est ainsi qu’aucun village palestinien ne peut forer de puits dépassant 18 mètres de profondeur ou acheter des tuyaux d’un diamètre supérieur à 20 cm. Les accords d’Oslo ne remettent pas en cause ces limitations. Du côté israélien, l’opinion sur les puits est différente : « Nous laissons aux palestiniens les eaux en surface, faciles et économiques à pomper, et nous prenons en charge les eaux plus profondes, qui nécessitent plus d’énergie et coûtent donc plus cher ».

Pour pallier à leurs besoins, les Palestiniens peuvent acheter de l’eau supplémentaire provenant du National Water Carrier israélien et apportée via des camions-citernes dont les prix se sont envolés suite aux nombreux check points et contrôles qui sont le lot de la circulation des véhicules aux plaques palestiniennes. La Palestine étant une région historiquement aride, tous les bâtiments ou presque sont équipés de systèmes de récupération des eaux de pluie pour répondre aux usages domestiques, cependant la pluviométrie de ces dernières années n’a pas aidé à remplir ces installations.

Les settlements

Les « settlements », que l’on peut traduire par « colonies » ou « implantations » sont des « quartiers » d’habitations israéliennes implantés par des « settlers » sur les territoires palestiniens.

La vague de settlements a commencé vers 1968, sous le gouvernement israélien de gauche puis est alimentée à partir de 1977 et de l’arrivée du Likoud au pouvoir, dans le but d’annexer la Cisjordanie et Gaza. Les terres sont confisquées aux palestiniens dans le but de construire des routes, maisons ou postes militaires que peu d’israéliens veulent habiter ou utiliser.

La création d’un settlement est souvent entamée par des israéliens d’extrême droite qui franchissent le mur de séparation avec leurs armes et viennent installer leurs tentes dans l’objectif d’étendre le territoire israélien. Au fur et à mesure, des maisons et des immeubles voient le jour, protégés par des barrières et des miradors. Le gouvernement israélien ne cautionne pas, officiellement, ces installations spontanées. Cependant, les compagnies gérant l’eau et l’électricité, Mékorot et Israel Electric Corp., sont autorisées à approvisionner les settlements en eau et en énergie par des réseaux primaires auxquels sont raccordées, par des réseaux secondaires, les communautés palestiniennes environnantes. Le problème se situe au niveau de l’installation technique : les réseaux secondaires sont fermés par des valves sensibles à la pression si bien que dès que le débit dans le réseau est insuffisant, l’approvisionnement des communautés est interrompu, parfois pendant plusieurs jours. On se retrouve ainsi, comme à Hebron, au sud de Jerusalem, avec une ville en plein cœur du territoire palestinien, partagée entre musulmans, juifs et chrétiens, où le trottoir droit est israélien et le gauche palestinien, où des maisons sont détruites chaque semaine et où des barbelés entourent presque chaque maison.

En 2003, Ariel SHARON, à la tête du Likoud, a annoncé sa volonté de se retirer intégralement de la bande de Gaza (concernant 8000 à 9000 settlers). Cette décision a été vivement critiquée par les sionistes religieux et a divisé le parti. L’objectif de ce retrait n’était cependant pas pacifiste mais, tout en rendant les territoires des settlements aux palestiniens, la zone militaire entourant la frontière a pu être agrandie, diminuant d’autant le territoire de la bande, et laissant place nette aux bombardements. Depuis janvier 2009, un demi-million de personnes- soit le tiers des habitants de Gaza- est privé d’eau potable. Du fait du délabrement du réseau, l’eau potable de la Bande n’est pas saine dans la proportion de 80% selon Amnesty International. La situation de l’eau dans la bande est catastrophique et ne fera qu’empirer si les autorités internationales n’interviennent pas.

Au-delà de l’eau, le conflit Israélo-palestinien compte des enjeux multiples et toujours plus complexes, impliquant également les acteurs de la communauté internationale comme ont pu le démontrer les récents dérapages lors de la conférence de Genève autour de la signature de Durban II. Après avoir voyagé dans la région et rencontré les populations et les politiques, il me semble que le principal fait à regretter est le manque de communication entre ces deux peuples qui partagent le même territoire mais ne se connaissent pas. Peu d’israéliens sont jamais allés en territoire palestinien et vice-versa si bien que la peur règne dans les esprits vis-à-vis des actions que pourrait entreprendre « l’autre ». « Il n’y a qu’une fin possible à ce conflit : soit ils me tuent, soit je les tue » nous a précisé un citoyen de Jerusalem. Dans une telle situation, comment oser parler de coopération ?

Les relations hydropolitiques entre Israël et ses voisins (Turquie, Syrie, Liban, Jordanie)

La Turquie est devenue le principal fournisseur d’eau d’Israël puisqu’elle lui vend, depuis vingt ans, 50 millions de m3 d’eau par an, tirés du fleuve Manavgat. C’est aussi depuis la Turquie que devait partir le « pipeline de la paix », qui, depuis le le Seyhan et le Ceyhan, avait pour projet d’alimenter le Moyen-Orient en eau potable. Ce projet fut refusé par la Syrie, notamment autour de la question du Golan. Les études stratégiques faites par l’université de Tel-Aviv en 1991 montrent en effet qu’Israël n’aurait pas à occuper tout le Golan pour assurer sa sécurité en eau. Mais cela suppose des contreparties, en particulier dans la cession de territoires aux Palestiniens dont nombre de réfugiés sont devenus ressortissants de Syrie et Jordanie. Hélas, les Syriens ne veulent pas en entendre parler. Il est vrai qu’ils n’ont pas réellement besoin du Golan pour leur approvisionnement en eau. Israël tente d’impliquer la Turquie dans ce processus, pensant qu’un assouplissement de la position turque à l’égard de la Syrie, avec laquelle elle est en conflit pour l’eau, faciliterait les discussions. (Source : Mancebo F., ” Israël : une histoire d’eau »).

Le Liban, quant à lui, projette de pomper 10 000 m3 d’eau par jour dans les chutes qui alimentent le fleuve Hasbani, ce qui réduira de manière unilatérale les ressources hydriques d’Israël de 3 à 4 Millions de m3 par an. Depuis le traité de paix en 1994, des projets communs entre Israël et la Jordanie voient le jour : barrages sur le Jourdain et le Yarmouk, creusement du canal entre Mer Morte et Mer Rouge, usine de traitement des eaux saumâtres du Lac de Tibériade.

Les projets de collaboration en cours

Le principal projet en cours, et le plus médiatisé, est très certainement le canal entre Mer Rouge et Mer Morte. Ce projet, envisagé depuis des centaines d’années, a été officialisé par la Jordanie et Israël lors du sommet de Johannesburg en septembre 2002. Les Jordaniens y voient aujourd’hui une des seules, sinon l’unique, option de répondre à leur demande croissante en eau et à la diminution rampante du niveau de la Mer Morte. Pour Israël et l’Autorité Palestinienne, le projet sert plus à appuyer un agenda politique déjà bien chargé. Au menu du jour : être reconnu pour les palestiniens comme partenaire du projet, c’est-à-dire comme pays riverain, ce qui leur permettrait de revendiquer leurs droits sur le Jourdain. Bien que le gouvernement jordanien n’émette pas de doute sur l’issue de l’étude de faisabilité en cours, reste à convaincre les compagnies privées d’investir dans le projet sue les épaules duquel pèsent de nombreux risques: attaques terroristes, mouvements tectoniques, réactions chimiques… (Pour plus d’informations sur ce projet, lire l’article « Mer en sursis »)

D’autres projets, de plus petite envergure mais non moins utiles, voient également le jour. C’est le cas par exemple du « Good Water Neighbors », projet de jumelage de communautés riveraines entrepris par l’ONG Friends of the Earth Middle East (www.foeme.org). L’objectif est d’établir des partenariats entre des communautés partageant les mêmes ressources en eau et les mêmes problématiques environnementales de chaque côté de la frontière. De nombreux échanges d’experts et formations sont également entrepris par des chercheurs et universitaires à différents niveaux. Malheureusement, ces projets sont souvent freinés par les lourdeurs administratives propres à la région (demandes de visa, passages de frontières, check-points…).

Conclusion

L’eau au Moyen-Orient n’inclut pas seulement une dimension politique, elle est elle-même politique. Ici plus que nulle part ailleurs, l’eau est une frontière, elle est source de survie et toute négociation sur son partage a des causes et des répercussions dans les sphères nationale et gouvernementale. Depuis 2 mois et demi, chacun de nos entretiens démarrant sur l’eau a «dérapé » inlassablement et inéluctablement, en quelques minutes, sur le conflit israélo-palestinien. Alors que retenir de ces tensions hydropolitiques et comment faire avancer le débat ? Voilà quelques conseils que nous avons retenus suite à nos rendez-vous avec des politiques, des ONG, des entreprises ou des personnes dans chacun des 3 pays. Il est important de :

1/ Sensibiliser les décisionnaires à l’importance de considérer le problème de l’eau à court-terme dans la région et de l’insérer dans les priorités gouvernementales ;

2/ Mettre en place des projets de collaboration sur la base d’une analyse des coûts et des bénéfices équitable ;

3/ Impliquer les personnes ayant des compétences techniques dans le processus de paix, afin de porter le débat, non plus sur l’hydrologie ou la politique, mais l’hydropolitique ;

4/ Inclure les questions non directement liées à l’eau mais impactées par elle dans les négociations (sociologiques, économiques, …) ;

5/ Identifier les dividendes de la paix et les inclure dans les objectifs annoncés des donneurs internationaux en adoptant une stratégie plus vaste de résolution de conflit et d’aide au développement ;

6/ Redistribuer et redéfinir les tâches et les rôles qui incombent aux différents acteurs de l’eau à l’échelle nationale ;

7/ Coupler les politiques de la demande actuelles avec des politiques de l’offre.

Film conseillé:

« Valse avec Bachir »: film d’animation documentaire autobiographique réalisé par Ari Folman et sorti en 2008. Ari, ancien soldat israélien pendant la guerre du Liban au début des années 1980, part à la recherche de ses souvenirs.

A lire dans nos précédents articles :

Infrastructure : Pour ou contre les barrages ? 9 mars 2009

Forum mondial de l’eau : LA grande semaine de l’eau - 15 mars 2009

Projet : En fait Entre Deux Eaux, c’est quoi ? - 29 mars 2009

Jourdain : Le Jordan River Peace Park - 12 avril 2009

Jourdain : Mer en sursis – 22 avril 2009

Toutes nos illustrations sont disponibles aux adresses suivantes :

Photos : http://picasaweb.google.com/entredeuxeaux/

Videos: http://www.dailymotion.com/EntreDeuxEaux


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